Marianne Boiral
Artiste photographe
« Une part de moi dans l’histoire … Des rencontres de bouts de soi »
- Ateliers hebdomadaires menés sur un an (juin 2021 à mai 2022) avec les jeunes et l’ensemble de l’équipe d’un établissement de placement de la Protection Judiciaire de la Jeunesse à Besançon. Chaque participant réalise, en plus de son portrait, un texte et une photographie. 48 participants. Le partenariat se poursuit aujourd’hui et d’autres projets sont mis en place. (DRAC/PJJ)
« C’est quoi « l’histoire » ?
« L’histoire c’est d’abord UNE histoire : celle que tu choisis de dire et de raconter, l’histoire c’est ce coté de toi que tu révèles, à travers un texte que tu composes, à travers ce visage que tu dévoiles. En quelque sorte il y a Ton histoire qui donne une certaine image de toi, ce « bout de toi » que tu montres, et il y a toutes les autres histoires.
Car l’histoire c’est Une histoire, mais c’est aussi un ensemble d’histoires, de « bouts de soi » qui composent une autre histoire. Alors l’histoire c’est ce dialogue, un dialogue entre ces « bouts de soi », une interaction. Une image à un moment donnée, une image que l’on fige, certes, mais qui ne fait que passer, que l’on pourrait revisiter, une image qui s’interprète de multiples façons, au gré des découvertes éprouvées. Une certaine image, mouvante, vécue intérieurement en multiples ressentis, une certaine image de vos parcours d’où proviennent ces «bouts de soi ».
Il y a un milieu : le quartier mineur ou l’établissement de placement. Ce « bout de toi » que tu choisis de dévoiler, est une part de création, il est construit lors de ce temps de placement judiciaire. Il permet un retour sur soi. Il doit avoir une fonction instauratrice, permettant d’aller de l’avant, de construire le lendemain. Car l’objectif est d’aller au-delà, de se construire, de « tracer son chemin », de s’en sortir, de « faire face ».
Alors qu’est ce qui fait art dans « une part de moi dans l’histoire » ? C’est d’abord un processus qui se déploie dans un contexte particulier, entre spontanéité et maturation de ce que l’on veut « dire de soi », un processus durant lequel s’éveillent des « bouts de soi » dissimulés. Ce qui fait art c’est surtout l’émergence de pensées sensibles, de circulation d’émotions, de partages de « bouts de soi » déployés sur la toile des affects, mise en dialogue à la restitution, au sortir du temps de placement, en exergue avec les autres créations, les autres portraits réalisés. Ce qui fait art c’est ce partage des affects qui révèle une connaissance de l’Autre, une « autre » connaissance de l’Autre. Tu te révèles aux autres sous d’autres formes que celles des codes attitrés aux divers statuts préétablis par les normes sociétales. Tu n’es pas que le rôle que l’on t’a assigné, tu es aussi « ça ». Mais, plus que du coté du participant qui parfois ne se rend pas compte de ce qu’il dévoile, la révélation à lieu du coté du spectateur qui ne se doutait pas que l’Autre, le participant, pouvait aussi être « ça ».
Car tu vas sortir du placement, tu vas t’en sortir, tu vas « faire face ». Et il y aura des rencontres. Ces histoires, ces « bouts de soi » se répondent, se complètent, se rajoutent, s’améliorent, ou bien, elles rivalisent, elles se brouillent, se déchirent, elles forment un ensemble, ensemble, et c’est dans ces multiples interprétations que l’on y trouve son substrat : ce qu’elles font vivre en dedans de chacun de nous pour un partage et une rencontre. Des rencontres. Des rencontres et des pas de côtés : je suis aussi ceci, je suis aussi cela, je ne suis pas seulement celui que tu crois, je suis plus que l’image que tu m’octrois, je suis plus que l’image que je me fais de moi. Une autre manière de voir, une autre manière d’écouter, une autre manière de se rencontrer, de se rencontre Soi avec Soi, de se rencontrer Soi avec les Autres. »